Maurizia     Manfredi

Retrospective 1990 - 2009



La maison de la psychè

Venise

Anthologie

Les jardins de Giotto

Histoires de sable

Murs et graffiti

Lettres abstraites

Présences-absences

Intérieur avec personnage

 

 

 

 

Le travail de Maurizia Manfredi a connu  différentes phases, dont  Anthologie  est une synthèse reprenant certains éléments d’un passé personnel et collectif. Maurizia joue avec la tradition, exécutant des fragments « faux »,  à la manière de grands artistes, en les intégrant à des éléments de sa peinture personnelle. Elle organise les parties dans un contexte plus vaste, réalisant une alchimie de citations et utilisant les instruments de la peinture (papier, toile, colle, pigments, goudrons, etc…) pour disposer dans l’espace-cadre  les éléments d’une recherche archéologique.

 

Précédemment, dans la série « Murs et graffiti », elle évoquait les murs antique de sa ville, témoins du passé, qui comme un palimpseste s’effacent et se recouvrent en strates successives de la représentation du quotidien. Les « Histoires de sable », les « Jardins de Giotto », et «Intérieur avec personnage » expriment sa vision poétique et onirique de la nature immergée dans un éternel présent.

 

Plus récemment, Maurizia a retravaillé sur le thème de « Venise » et a développé  ses représentations oniriques dans « La maison de la psychè »

 

 

 

Accoster à  La maison de la psychè

 

 

Lorsque que j’écris ce texte, j’ai cinquante ans et nous sommes en 2008. Les œuvres qui sont associées à « La maison de la psychè », auxquelles il se réfère, ont peut-être pris racine lorsque j’avais quarante ans. Je dis « peut-être » car si je devais résumer brièvement mon parcours depuis l’enfance, elles seraient les plus appropriées. Déjà, dans les « Histoires de sable » des années 70/80 émergent des éléments similaires.

 

Dans « Murs et graffiti », au cours des années 80, c’étaient les signes et la matière qui reprenaient le fil conducteur et les figures qui affleuraient composaient déjà un prélude à la découverte archéologique, à l’extraction, à l’itinéraire moins personnel et plus collectif qui m’a menée à la série « Anthologie ». Il y a eu une période intermédiaire, « Les jardins de Giotto », qui se référait au parc communal de Padoue qui entoure la « Chapelle des Scrovegni », un écart vers la nature repensée par la raison mais que j’ai transformée, comme toujours, cette fois par l’utilisation de la couleur : je m’en souviens  comme d’une phase solaire et vertigineuse.

 

Précisément durant cette période j’ai passé de longs séjours en avril et en mai sur un minuscule îlot volcanique, Linosa, quasiment en Afrique. J’y étais en compagnie de même pas cinq cents habitants. J’avais choisi une petite « maison de campagne », ils l’appelaient ainsi parce qu’elle se trouvait à un kilomètre du bourg et du port des pêcheurs, sur « la Punta », parce qu’elle se situait en haut d’un promontoire. C’était un parallélépipède au toit plat, une maison méditerranéenne typique. Elle avait aussi un escalier extérieur en ciment qui menait sur la terrasse : je restais là, des moments infinis à regarder les volumes et les rapports qui les reliaient. Elle était dépouillée, faite de rien, le minimum indispensable, mais pour moi c’était un royaume, mon observatoire. Il y avait une falaise à quelques pas vers l’ouest : dessous, la mer et j’imaginais voir les poissons, ils menaient leur vie parfois bruyante et assombrie par la peur, parfois transparente et gracieuse. Le sentier de pouzzolane arrivait à la limite du précipice  et le contournait pour descendre vers la mer du côté le plus bas. Mais surtout au coucher du soleil en écoutant ma musique préférée je dansais à l’infini et me sentais unie avec cette nature, trop intense pour mes habitudes de citadine. La Déesse Mère était à mes côtés, elle était l’île, et moi j’étais tout cela.

 

Des années plus tard, seulement, j’ai visité Malte que je voyais au loin, mais je savais déjà que c’était là, dans ces îles, que régnait la déesse préhistorique. Je n’ai jamais autant marché de ma vie. En une heure et demie je faisais tout le tour de l’île et le long de ce parcours je voyais des merveilles que l’écriture ne me permet de transmettre que partiellement. Après plus de dix ans, j’espère que « le radeau d’Orphée »,  comme je l’appelais, où le temps devient cyclique, est encore comme cela : la nature sauvage, les petites collines volcaniques recouvertes de Barbe de Jupiter en fleur, les murets de pierre péniblement construits pour dégager du terrain et protéger quelques chèvres, quelques parcelles plantées de lentilles, de vignes. Les baies émeraude de pierres volcaniques, tantôt coupantes, tantôt descendant paresseusement en gradins, tantôt formant de parfaits pentaèdres lisses et brillants comme l’obsidienne. Les falaises friables de pierres calcaires jaunes, à pic sur la mer, là où un jour une puanteur terrible m’a menée en présence d’une énorme tortue en putréfaction. Les pouzzolanes qui descendent vers la mer, tantôt grises, tantôt noires serties de brillants bleu d’orient, tantôt jaune ocre, rouges Herculanum et terre de Sienne brulée. Poussières qui servent à fabriquer la peinture. Je me souviens des petits cratères, des tours de guet abandonnées, des figuiers de Barbarie dessinés en contraste sur la pierre de lave ; les puffins et les autres oiseaux de passage, les lézards noirs et lisses, semblables à de petits serpents ; le mérou géant qui un jour est presque monté dans le bateau de mon ami pêcheur qui lui avait déjà donné un nom et qui savait qu’un jour il le retrouverait. Quand, après avoir mordu à l’hameçon, s’être fait remorquer et s’être fait admirer dans toute sa puissance et sa splendeur, il se détacha magiquement pour reprendre sa vie. Mon ami dissimulait ses blessures aux mains et ses larmes de rage. J’espère que ce monde sous-marin est toujours aussi riche et prospère -  en ce temps là, quasi tropical - comme je le rêvais depuis que j’étais toute petite, comme il revient pour hanter mes nuits. Je me souviens de ces tacots de mer échoués, éventrés per les rochers un jour de tempête, dont les passagers immigrés sans-papiers n’avaient laissé ni trace ni souvenir. Il n’y avait pas de silence dans cette solitude : j’ai découvert là que la nature est plutôt bruyante, mais quelles sonorités ! Alors, j’imaginais le vacarme, l’épouvantable fracas à l’occasion de la naissance de l’ île, dans un passé lointain, quand dans l’ébullition du tremblement de mer les volcans sont remontés et avec eux les couches sableuses de grès jaunes faisant apparaitre les coquillages ensevelis depuis le nuit des temps dans le mouvement du serpent qui se mord la queue : dans l’éternité du présent. Le volcan aurait pu se retourner dans son sommeil mais le risque paraissait lointain. A l’inverse de cette nuit à Santorin où, enveloppée dans les brumes tièdes qui serpentaient rapidement depuis la marmite marine en escaladant les falaises, je ressentais l’ébullition des eaux et le terrain qui remuait … le risque semblait alors se transformer en une épouvantable réalité. Les impressions ne manquaient pas à Linosa, pourtant elles étaient un peu redimensionnées, il restait seulement la sensation agréable de marcher quelques centimètres au dessus de la terre. Cette maison, cette petite boite de briques enduite de chaux blanche avec les chats, fournis en plus, que je nourrissais chaque jour et avec lesquels je parlais et je jouais, avec les fenêtres ouvertes sur les aubes enchantées entre les collines brumeuses et les couchers de soleil sur la mer, qui marquaient la nostalgie des journées écoulées mais aussi la promesse de nuits étoilées, de chants nocturnes des puffins, de ciel bleu foncé, de tempêtes, de nuages et de vents … tout cela, et encore plus, a marqué la personne que je suis.

 

Les terres cuites de “La maison de la psychè” sont nées comme cela.

 

Maurizia Manfredi, Venise et Padoue, septembre 2008

 

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